8/19/2005

d'un pas nonchalant, d'un air détaché

le portable a vibré frénétiquement, c'était vous, c'était votre message.
je promenais dans les entrailles du métro et vous demandiez de mes nouvelles.
j'étais en route pour quelques croquis, comment l'avez-vous su, de si loin?
j'essaie, je progresse, j'essaie.
les touristes ont envahi la ville, ils entrent et sortent des cours, commentent, troublent le silence si précieux.
une accalmie, je suis assise sur le rebord d'un puits, le nez en l'air, j'essaie d'accrocher l'entrelac des nervures, la succession des ombres.

c'est si difficile, mais je vous le dois.
je vous entends me répondre que je le dois à moi-même, admettons.

là où je vois des arches et des fenêtres à meneaux, vous voyez des décors de théatre, vous voyez un spectacle, des lumières.
il faudra penser à se lever plus tôt le matin, quand vous reviendrez.
reviendrez-vous?
le mieux que je puisse vous souhaiter serait de ne pas en avoir le temps.
parce que ça voudrait dire combien vos propres projets vous tiennent.
mais ce n'est pas le mieux que je puisse souhaiter pour moi.
mentalement je note les portes, les passages que je veux vous faire voir.
je n'avais jamais regardé cette ville depuis toutes les années où j'y reste.
j'ai commencé de la voir avec vous.


je dessinerai donc, envers et contre tous les prétextes que je trouverai pour nourrir ma paresse.

le 19 arrive à grands pas, je pense à cette impasse vers Montmartre où vous m'aviez conduite, la maison du bout de la rue, ma crispation en voyant sur la plaque ce 19.
je vous en ai expliqué la raison et je l'ai regretté tout de suite après quand vous m'avez rappelé la date de votre anniversaire.
puisse ce 19 ci vous être propice.
si ce n'était pas le cas, songer à voir un exorciste.

Radclyffe Hall

"une fois seulement, depuis que son regard s'était fixé sur les morts, cette femme s'était tournée vers sa fille et l'expression de ses yeux s'était alors changée en quelque chose d'accusateur, d'impitoyablement cruel.
A force de considèrer ce qui leur avait semblé abominable, ils étaient devenus eux-même une abomination. Horreur! Et comment osaient-ils accuser cependant ? Quel droit une mère avait-elle de détester son enfant, qui était né de ses secrets instants de passion? [...]
"je préfèrerais vous voir morte à mes pieds...
trop tard, trop tard, votre amour m'a donné la vie. Je suis la créature que votre amour a faite ; par votre passion vous avez créé la chose que je suis. Qui êtes vous pour dénier mon droit à l'amour? Sans vous je n'aurais jamais connu l'existence."

tiré de: "Le puits de Solitude" de Marguerite Radclyffe Hall, 1928 Ed. Cape Londres

juste un petit moment pour relever la tête.

8/18/2005

à travers les rues

dans chacune des villes où j'ai posé mon bagage, j'avais toujours trouvé un lieu plus familier qu'un autre. un lieu où mes pas me ramenaient comme une somnambule quand j'avais la tête ailleurs. un lieu pour réfléchir ou ne penser à rien, selon l'humeur.
durant les quatres années passées ici, je n'avais cessé de me voir comme une étrangère, et voilà qu'à parcourir les rues, bousculée par des inconnus, enfin je m'y sens apprivoisée.
la Montée du Change sera mon asile, j'y vois la terre, j'y vois le ciel, je m'échappe sur les toits, je me suspends aux fenêtres, je descends marche après marches sur les pavés lustrés.
ce lieu là sera mon point d'équilibre, adossée au muret qui s'arrache de la plus haute façade, j'observe, je suis aux aguets.
les escaliers hauts en découragent plus d'un, qui restent spectateurs, vissés dans l'ombre de la ruelle avant de disparaître dans la rue de la Juiverie.
ils sont peu qui osent s'y frotter.le martèlement de leur pas sur les marches m'est musique.


ici habite un chat blanc qui émerge de temps à autres d'une terrasse abandonnée, s'arrête, me regarde, s'installe ou suit des yeux une feuille à la dérive.
ici, le crayon court sur la feuille, sans efforts, le temps passe sans heurts.
la frénésie qui s'empare des rues du centre historique meurt devant le Temple ou pousse jusqu'aux quais.je vois passer les silhouettes au loin, mais j'échappe à leurs cris.


18 août, demain sera votre anniversaire: la joie du dessin m'est revenue, c'est le cadeau que vous m'avez fait.
les paroles échangées sur la nécessité de vivre aujourd'hui de ses passions auront porté leurs fruits.

que cette journée, passée je ne sais où, vous soit infiniment douce.

8/15/2005

je retourne sur mes pas

j'ai 35 ans, je retourne sur mes pas,
la voiture avale la route qui remonte vers le nord, vers le froid,
je ne ferai pas de halte, je n'ai qu'un seul objectif,
retourner sur mes pas.
j'ai 35 ans.
le bourg commence plus tôt, les boutiques, les entrepôts ont fleuri,
je n'ai qu'un seul objectif,
je pousse le moteur dans la montée, la forêt m'attend en haut de la côte,
j'ai des fourmillements partout dans le corps, le coeur qui bat dans la gorge,
des immeubles ont remplacé les champs de blé,
la maison des tous mes cauchemars reste invisible, jusqu'au dernier moment.

j'ai 35 ans, je suis glacée,
je guette à droite et à gauche, comme un animal sauvage,
la maison apparaît grise et immense,
je passe mon chemin sans m'arrêter, je ne peux pas encore.
au détour d'un virage, je me gare sur le bas-côté,
je lutte pour reprendre mon souffle:
je n'ai qu'un seul objectif.

j'ai 35 ans, temps pour moi de regarder mes démons en face,
je reviens sur mes pas.
je vois d'abord la fenêtre qui était celle de ma chambre.
la maison est aveugle, portes et volets clos.
moi seule en connais le secret.

ils ont quitté le pays, retournés sur leurs propres traces,
mais leurs fantômes viennent battre à mes oreilles,
ils veillent sur la maison de mes cauchemars.

je dois me souvenir alors que je suis fière,
que je ne baisserai pas les yeux.
je n'ai qu'un seul objectif
je regarde comment le temps a fait son oeuvre,
comment il a rouillé, décrépi, envahi de ronces,
retiré toute vie de cette carcasse.

de l'autre côté du chemin, les pieds dans l'herbe folle
je suis debout et vivante.
je me suis interdit d'être amère, maintenant je respire calmement.
je prends l'appareil photo et je mitraille
je mitraille le portail rouillé, les volets qui gondolent, le verger envahi.
avec frénésie j'enferme tout sur le papier glacé.
pour ne plus avoir à me souvenir,
pour que personne n'oublie.

les immeubles gagnent sur la colline
bientôt il n'y paraîtra plus.